Quel est ton degré de « lyonnitude » ? Ah ah ah, il n’est pas très élevé. En fait, je suis originaire d’Orléans, j’ai vécu 10 ans à Paris et j’habite à la Croix-Rousse depuis 4 ans. Je ne me dis ni Parisien ni Lyonnais mais plutôt habitant de cette Terre (rires). Comment définis-tu ton métier ? Je me décris avant tout comme un passeur de messages. Je suis l’entremetteur entre une création artistique — un parfum — et une personne, deux éléments qui ont parfois du mal à se trouver. Beaucoup de gens n’arrivent pas à mettre des mots sur les parfums. Mon rôle est de les éclairer et de rendre accessible cet univers olfactif. Le parfum et toi, c’est une histoire ancienne ? Oui, ma mère travaillait à l’usine Dior, la seule au monde à côté d’Orléans. Elle ramenait souvent des savons et des litres de Cologne à la maison. Elle parfumait toute la famille, c’était moins cher que du déo quasiment ! J’ai donc été initié à ça très tôt. Petit, je me lavais les mains avec des savonnettes de grande marque. Je sentais qu’il y avait un décalage car la plupart de ces produits était destinée aux femmes, voire aux vieilles dames mais pour moi, c’était la magie simple du quotidien. À l’adolescence, j’ai senti comme un appel de me jeter dans cet univers, de comprendre le parfum dans toutes ses dimensions. À l’époque, j’avais envie de marginalité et presque personne ne s’intéressait à ça, encore moins les mecs. C’était parfait ! Enfin j'empruntais une piste où personne n'avait posé ses skis ! J’avais 15 ans, j’en ai aujourd’hui 40… ça fait donc 25 ans que je me came au parfum, que je renifle tout, que je demande à tout le monde « qu’est-ce que tu portes ? quelle odeur t’excite ? ». Tu as longtemps travaillé dans la vidéo, comment s’est opérée la transition vers le parfum ? J’ai eu le déclic en travaillant, par hasard, dans une parfumerie confidentielle dans le quartier du Marais à Paris. À l’époque, je sortais effectivement de vidéo et je n’avais aucune expérience dans le parfum, mais cette jeune femme audacieuse m’a confié sa boutique, ses colognes de luxe et sa trésorerie de dingue : quel pari ! Et ça m'a plu, j'ai adhéré immédiatement. Les senteurs bien sûr, mais aussi le contact avec les clients. Suite à ça, j’ai suivi une formation courte à l’Isipca pour me légitimer dans cette voie même si, au fond, je n’en avais pas besoin. Et quand on m’a demandé de choisir un employeur pour financer ma formation, j’ai fait mon top 3 des meilleurs parfumeurs au monde : Serge Lutens, L’Artisan parfumeur et Frédéric Malle. C’est finalement Malle qui a mordu… J'ai commencé à Paris pendant un an avant d'arriver à Lyon il y a quatre ans. Ton « bureau » est atypique, décris-le-nous !
Je travaille au Printemps, rue de la République, dans ce grand magasin de luxe, à la fois vitrine et musée. J’ai un stand de 8 mètres carrés si on compte le parterre devant. Plutôt 4, en fait. Des gens du monde entier viennent pour se promener, pour regarder, parfois pour acheter. À moi de les magnétiser sans qu’ils se disent (il crie) : « putain, il va m’agresser ». Je n’oblige personne à acheter, au contraire, j’essaie de mettre les gens en confiance. Disons que mon rôle est de générer une envie. Sinon, je travaille dans une ambiance très féminine. Sur les stands autour de moi, il n'y a que des vendeuses, sauf un garçon chez Chanel. Le dernier parfum que tu as vendu ? Il s’intitule Dans tes bras. C’est un parfum mixte que je présente aussi facilement à des hommes qu’à des femmes même si sa belle infusion de violette le rend plus difficile à vendre en France qu’au Moyen-Orient, par exemple. C’est l’un des parfums les plus énigmatiques de la gamme Frédéric Malle, celui qu’on arrive le moins à décrire avec des mots. Doux ? Puissant ? Boisé ? Floral ? Dur à dire ! Il fait d’ailleurs débat sur les forums spécialisés sur Internet. En fait, ce parfum ne parle pas de lui en termes d’olfaction mais d’évocation poétique. Dans les bras de qui ? D’un homme ? D’une femme ? Des bras qui sentent la transpiration ? Des bras poilus ? Des bras qui sentent le propre ? Des bras musclés ? Des bras fins ? C’est une porte ouverte à plein de choses. Ton premier souvenir olfactif ? C’est le garage de mon grand-père qui tenait une ferme. Ça sentait la sciure, l’écrou, le métal chauffé, l’huile. C’est aujourd’hui une odeur terriblement érotique pour moi. Elle m’éveille les sens et le désir. Pourtant je n’ai jamais rien fait dans un garage (rires) ! Mais c’est une décharge émotionnelle forte.
0 Commentaires
Laisser une réponse. |
Cruel Sommaire
Tout
Archives
Avril 2019
|