Idéalement située dans le quartier des antiquaires, Aurélie Von Grüningen redonne aux vieux tableaux leurs couleurs d’antan. Elle n’est pas artiste, elle est magicienne ! Lovée dans son atelier cosy, elle cultive l’humilité de l’artisan de l’ombre et revendique une liberté dans le travail, aussi précieuse que ses toiles.
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En une phrase, dis-nous qui tu es ! Ohlala, je n’aime pas parler de moi ! On peut me percevoir comme froide et hautaine, alors que je suis plutôt joviale et enjouée. Sinon, je viens de Haute-Savoie, vers Evian, avec des origines suisse-allemande. J’ai étudié à Paris et, pour tout dire, je ne me destinais pas particulièrement à vivre à Lyon. Tu es descendue de tes montagnes, comme Heidi ? En quelque sorte (rires). Mon père travaillait à Lyon. Il était collectionneur et disposait d’un réseau. J’ai donc réalisé mes stages d’études auprès de restaurateurs de tableaux lyonnais. Et comme dans les métiers de la restauration, il y a beaucoup d’appelés et peu d’élus, j’ai dû énormément travailler. Plus on restaure, plus on voit passer de tableaux et plus on est habile pour établir les bons protocoles de restauration. Justement, parle-nous de tes débuts dans le métier ! Tout a commencé avec mon stage de 3e, effectué chez un antiquaire, ami de mes parents. Je m’y suis profondément ennuyée. Il fallait attendre le client, c’était laborieux. Mais il y avait ce tableau, représentant un mousquetaire auquel il manquait la tête. Ce détail m’a perturbée. Je voulais faire quelque chose pour rajouter cette tête disparue. Et puis il y avait aussi cette pub Levis qui passait à la télé. On pouvait renvoyer son jean troué chez Levis. Ils reprenaient la trame du tissu puis le renvoyaient comme neuf. Je trouvais ça fascinant ! Tu es installée depuis 20 ans maintenant, tu es devenue une institution ? En quelque sorte ! En plus, je préside l’association des artisans d’arts, à Lyon, une structure qui existe depuis 40 ans et qui fait la promotion d’artisans locaux : ébénistes, restaurateurs de papiers, tapissiers... Nous fonctionnons en réseau et nos métiers peuvent être liés. Nous pouvons recommander les membres de l’association à nos clients. Décris-nous ton atelier ! Je l’ai aménagé à mon image, avec de beaux meubles, un mur de photos, des tapis. L'ambiance est importante car je peux passer jusqu'à 12 heures d'affilée ici. Et je ne vois pas le temps passer ! Et puis j’ai mon pépère (NDLR : un petit carlin dormant dans un panier), il m’accompagne depuis 9 ans. Et à part Pépère, ça ne te manque pas de ne pas avoir de collègues ?
En fait, j’aime travailler seule. Mais j’ai quand même besoin d’échanger. Dans le quartier, on « traboule » d’atelier en atelier, on déjeune souvent ensemble entre artisans. Je suis sociable, mais jusqu’à un certain point. Quand j’accueille des stagiaires, ils ont pour consigne de ne venir que le matin. Être à son compte offre une liberté, une indépendance qui, certes, se paie cher, mais qui n’a pas de prix. Et comment fais-tu pour rentrer dans la tête d’un artiste du 16e siècle ? Ah, mais l’objectif n’est pas de comprendre l’artiste, mais sa technique ! Il faut retrouver son intention, sans le trahir, faire preuve d’humilité et s’effacer complètement, sans velléités créatives. Est-il plus compliqué de travailler sur un tableau qu’on trouve moche ? Oui et non ! Quand on n’a pas un coup de cœur, il reste l’aspect financier. Mais je pense aussi au client, qui vient avec un tableau qu’il aime, qui était peut-être dans sa famille depuis des lustres et qui a une histoire. Je respecte ça, au-delà de mes goûts personnels. Tu arrives à tout restaurer ? Même les tableaux en ruines ? Je suis connue pour les sauvetages de tableaux très abîmés. J’interviens sur la peinture et sur la toile : rentoilage, vernissage, retouche, soin du support, couche picturale. En revanche, je ne réalise pas de restauration de cadres. Je fais toujours une photo du tableau avant intervention. C’est une garantie et puis ça permet de voir l’évolution. As-tu déjà trouvé une autre peinture sous une peinture ? Non, mais il est vrai que les tableaux sont souvent repeints. Il suffit de passer une lampe à ultraviolets pour voir si une toile a été reprise. Avec l’expérience, je le vois désormais à l’œil. On appelle ça des « repeints ». C’est souvent l’œuvre d’artistes qui, au lieu de se contenter d’une retouche, réinterprètent l’œuvre à leur goût. Ils reprennent un ciel, rajoutent des branches par ci, des détails par là. J’ai travaillé sur une Marie-Madeleine du 17e siècle, complètement réinterprétée. Le « restaurateur » avait repris son visage, sa robe… Elle n’était plus du tout la même ! Est-ce que les nouvelles générations ont le réflexe de venir chez toi ? Pas assez, malheureusement. L’autre jour, on m’a apporté une toile IKEA à restaurer, représentant une branche d’orchidée. C’était une photocopie de poster. Ça fait mal au cœur, bien sûr, mais il faut faire de la pédagogie. Je suis saisie par ces générations qui dépensent 600 euros pour une armoire en contreplaqué chez IKEA alors que chez Emmaüs, on trouve des meubles en marqueterie pour 100 euros. Alors quand j’ai des jeunes qui viennent faire restaurer un tableau ancien, je les chouchoute. Pour toi quel est le son de Lyon ? Les freins du train. J’ai toujours habité en Presqu’île, de part et d’autre des voûtes de Perrache. Je n’ai jamais eu peur d’aller « de l’autre côté », de passer sous la gare, même à l’époque où il n’y avait pas encore le tram. Ton style musical de prédilection ? Je n’en ai pas. Ma mère aimait danser, l’accordéon, les guinguettes, tandis que mon père pouvait osciller entre Beethoven et… de la dance. Le spectre est large ! J’aime bien quand ça bouge. Pour avoir passé ma jeunesse au feu Macumba, à Saint-Julien-en-Genevois, j’adore danser. Je vais en boîte à La Maison. Mais les filles de maintenant sont étranges : elles bougent à peine, engoncées dans leurs robes. Tandis que moi, je suis là pour m’amuser. Bon, c’est un peu la chasse dans ce genre d’endroit, les vieux sont assis dans des canapés et regardent les petites jeunes. Moi je suis hors date limite de consommation, on ne m’embête plus ! Justement, quel est le son qui te fait danser ? Le gros son, aussi bien l'électro que des tubes très commerciaux… j’aime quand il y a de l’arrangement. Je ne suis pas très concerts, mais une grosse voiture avec Docteur Dree, Snoop Dog, quand ça monte, j’adore ! Macklemore, avec ses violons, ses cornemuses, ses voix et son beat, me plaît beaucoup ! Le son qui t’inspire ? J’écoute beaucoup la radio dans mon atelier. Le matin, c’est France Inter jusqu'à l'émission de Nagui, qui me fait rire. En début d’après-midi, c'est encore France Inter, puis de la musique d’ambiance. Je peux passer plusieurs heures à retoucher, à nettoyer un tableau et le bruit de fond maintient mon attention. Et le son qui te rend heureuse ? La période de Noël est un temps que j’adore, avec des chansons comme Vive le vent, Petit papa Noël, surtout quand c’est Mariah Carey qui la chante. Bon, cette chanson fait partie de ma playlist honteuse, j’avoue. Même quand ça n’est pas Noël, il m’arrive de l’écouter. Sinon, j’aime ce qui est festif, comme les Brothers Johnson ou des morceaux discos comme Can you feel it. Le son qui te rend triste ? Il y a une chanson de Keren Ann, Jardin d’hiver, qui me touche beaucoup. Corneille également, quand il dit « je me sens si seul au monde ». Lorsqu’on connait son histoire, ces paroles prennent une dimension terrible. Je n’aime pas entretenir la tristesse. Alors changeons de registre : le son de ton mariage ? Je ne suis pas mariée et ça n’est pas prévu. Mais imaginons... ça ne serait pas conventionnel. Peut-être… Dirty Dancing. Le son de ton enterrement ?
Eh bien, toujours quelque chose de festif, un peu pump it up ! Que les gens aient un peu de joie au cœur. Ou alors… des feux d’artifice. C’est un son que j’aime bien, il me rappelle les anniversaires que mes parents nous organisaient, ma sœur et moi. Donc pour mon enterrement : gros feu d’artifice. Tout le monde sera ainsi informé (rires) ! Le son qui te fait rire ? Mon chien quand il pète. Il ne le fait pas souvent, mais il se met sur les pattes arrière, il fait « pffzzz » et semble tout étonné. C’est irrésistible ! Quel est ton statut du moment ? Alors je suis en couple. Parle-nous de ton premier baiser J’ai bien dû faire des petits bisous aux garçons en maternelle, mais je ne suis pas certaine que ça compte. Le vrai premier baiser était raté. J’étais au lycée. Un garçon qui m’aimait bien a voulu m’embrasser. J’ai tourné la tête à ce moment-là et il m’a bavé sur la joue. C'est donc un souvenir baveux, mais drôle ! Et le dernier ? Ce matin. Une anecdote honteuse à partager ? J’en ai des tonnes, je mets souvent les pieds dans le plat. Bon, ça n’est pas forcément dans les carnets roses, mais un jour, par exemple, une cliente odieuse débarque dans l'atelier. Elle me dit être recommandée par une de mes connaissances. Je vais donc voir cette connaissance pour la remercier de m’avoir envoyé ce boulet : c’était sa mère. Je me suis littéralement liquéfiée. Je pourrais remplir un livre d’anecdotes de ce genre. Je ne le fais pas volontairement, on me pardonne la plupart du temps. Heureusement que la honte ne tue pas, je serais déjà morte (rires) ! Un livre, un film qui t’a éveillé à la sensualité ? Le Horla de Maupassant. C’était une œuvre imposée au collège. Je me souviens particulièrement d’un passage qui disait : « elle s’agenouillait sur moi et buvait ma vie entre mes lèvres ». Cette phrase… non mais cette phrase ! Pour toi, Lyon est une ville érotique, romantique ou pornographique? Spontanément, aucun des trois. Quand je me suis installée à Lyon, on disait que c’était la ville où l’on trouvait le plus de boîtes échangistes. Je n'ai pas vérifié ! À la réflexion, je dirais… plutôt romantique. Les endroits à Lyon où tu aimerais faire des choses coquines ?
Je ne suis pas très « lieux insolites ». Mais j’aime bien le côté feutré et cosy des chambres d’hôtel, 5 étoiles ou les bars d’hôtel comme celui du Royal. Pour toi, quel est le spot le plus romantique à Lyon ? J’aime bien la patinoire, qui donne un prétexte pour me coller contre mon homme. Même si c’est populaire, j’aime bien l’ambiance. C’est joyeux, on partage des émotions. Je ne suis pas très fleur bleue mais j'apprécie les petites attentions dénuées de mièvrerie. Trouves-tu les Lyonnais(es) sexy ? D’une manière générale : non (rires) ! Où fais-tu ton shopping ? Je déteste faire les courses. Je n'ai d'ailleurs pas grand chose dans mon frigo, du moins pas de surgelés mais des produits frais. Je suis plutôt marché : quai Saint-Antoine ou cours Bayard. Je garde un très mauvais souvenir des grosses courses du week-end au supermarché, lorsque j’étais enfant. Un cauchemar ! Et côté fringues ? J’aime avoir des vêtements que je ne retrouve pas sur les autres. Et ça, ça se travaille ! Je fais des recherches sur Internet. Avant, je n’étais habillée qu’en noir et blanc. Depuis que j’ai un chien, bizarrement, j’ose la couleur. Il y a 4 ans, j’ai acheté un manteau jaune, par exemple, que j’ai toujours. Maintenant que la mode est au jaune, je ne peux plus le ressortir (rires) ! Alors tu te ruines pour être différente ? Avant, je dépensais beaucoup en vêtements. Mais j’ai évolué. Tout est fabriqué en Chine maintenant : je suis dégoûtée à la fois par les conditions de production et par la qualité qui en résulte. Les tee-shirts achetés très cher godaillent dès le premier passage en machine. Finalement, on n’achète qu’une étiquette. Donc, maintenant, je vais chez Monoprix, ils ont des choses très bien. De temps en temps, j’achète quand même une pièce originale. Mais c’est plus rare qu’avant. Serais-tu une éco-consommatrice ? Oui, j’ai une certaine conscience, comme pour la viande. Je mange bio, je suis dégoûtée par le jambon sous plastique. J’ai eu une éducation rurale par ma mère, bourgeoise par mon père. La question de la souffrance animale me tracasse. Je privilégie les circuits courts, j’achète chez Cerise et Potiron, celui qui est derrière Perrache. Le gérant est une armoire à glace, très sympa. Je suppose que tu hais les grandes surfaces. Effectivement. Tout ce choix, ça me dégoûte. Je préfère payer plus cher plutôt que d’y mettre les pieds. Et puis il faut aider les commerces de proximité, c’est ce qui fait vivre un quartier. Quel est ton dernier achat ? Un pull en cachemire chez Monoprix. En fait j’en ai acheté quatre ! Bon j’ai eu des mites. C’est l’inconvénient du 2e arrondissement. Il y a des tas de nuisibles, des souris, des mites, des rats, des moustiques. L’achat que tu regrettes le plus ? Je n’ai pas de regrets en particulier. J’ai du mal à me séparer des objets, à donner, à jeter. Les objets me rappellent des souvenirs. Ils font partie de moi. Mon appartement est plein à craquer. Le magasin où tu aimerais te faire enfermer pendant une nuit ? Le Printemps, c’est plein de vêtements, de chaussures, avec une petite musique d’ambiance. Ou un magasin de sport, comme je n’y vais jamais, je pourrais porter tout un tas de tenues inhabituelles. Cerise & Potiron - primeur
20 cours Charlemagne, 69002 Lyon 04 37 57 01 09 Printemps - prêt à porter multimarque 36 rue de la République, 69002 Lyon 04 26 03 44 29 Quel est ton quartier de prédilection ? Le deuxième. Euh, le second, on dit le second (rires) ! Pas la Croix-Rousse car tout est en pente et c’est compliqué en talons. Pas la Part-Dieu car les volumes sont trop imposants. Peut-être le 6e, vers le parc de la Tête-d’Or car j’aime être proche de l’eau, de la verdure. Sinon, en Presqu’île, je suis bien entourée, entre Rhône et Saône. Quel est le lieu le plus insolite à Lyon ? Récemment, je suis allée voir un match au stade des Lumières. C’était impressionnant : les cris, les chants des supporters, les drapeaux, l’ombre et la lumière, les baffles qui déversent un bruit hallucinant... Bref, c’était… étonnant. Je n’aime pas particulièrement le foot, mais là, j’ai eu un choc ! Quel est le lieu que tu fréquentes le plus ? Les Grandes caves de Perrache. C’est l’un des derniers « porte-pot », c’est-à-dire un établissement qui vend de l’alcool et qui fait bar. On peut demander un verre de vin au comptoir en mode dégustation ou acheter sa bouteille. La clientèle est un heureux mélange de bourgeois et d’ouvriers que j’aime bien. Brigitte tient le bar depuis 27 ans, autant dire une institution. La consommation d'alcool est-elle compatible avec la minutie de ton métier ? En fait, je me suis mise à boire en arrivant à Lyon. Avant, j’étais plutôt eau minérale. Le vin, ça n’était pas mon truc. Mais à Lyon, les gens ne vont pas prendre un café, ils vont prendre un verre, et à n’importe quelle heure ! Au début, j’étais choquée, je me disais : « mais qu’est-ce que c’est que ces pochetrons ? » Maintenant, je fais pareil (rires). Sinon, j’aime aller au Marmot, ils ont de très bons produits. Benjamin et sa maman sont adorables. C’est très chaleureux et leur tiramisu est excellent. Dans un autre genre, j’aime beaucoup les tapas du Comptoir de la Confluence. Et côté bouchon lyonnais, le Poêlon d’or est délicieux ! Aujourd’hui, te vois-tu vivre ailleurs qu’à Lyon ? Oui. Lyon est ma ville de travail. Je n’y vieillirai pas. J’aime la région de mes parents : le lac, la verdure, la montagne. Mais la vallée, plutôt que les hauteurs. Je ne supporte pas la chaleur : au-dessus de 25 degrés, je souffre. Et j’adore regarder la neige tomber. Et il t’arrive de sortir de ta Presqu’île ? Il faut un visa pour aller à Villeurbanne, non (rires) ? C’est vrai que j’ai un périmètre assez localisé. Je n’ai ni voiture, ni carte TCL. Et puis mon chien est âgé, il se fatigue vite. C’est un bon pépère. On fait des petits tours de quartier mais pas plus. C’est le chien de la famille. Je l’ai eu pour mes 30 ans et je le chouchoute. Les Grandes caves de Perrache - cave à vin
74 rue de la Charité, 69002 Lyon 04 78 37 85 43 Café Marmot - café restaurant 51 rue de la Charité, 69002 Lyon 04 78 82 61 91 Comptoir de la Confluence - tapas 41 rue Smith, 69002 Lyon 04 72 41 89 93 Le Poêlon d'Or - bouchon lyonnais 29 rue des Remparts d'Ainay, 69002 Lyon 04 78 37 65 60 Elle qui travaille dans l'ombre des artistes dont elle rénove les toiles, la voici encadrée ! Émilie Vercez — alias PoneyM — a imaginé Aurélie Von Grüningen en Mona Lisa des temps modernes, les couches de vernis en moins ! |
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